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Compétition & bienveillance

Sommaire

1. Définitions

2. La compétition

a. Source des oppressions

b. Facteur de progression

c. Obstacle à l’émancipation

3. La bienveillance

a. Outil d’émancipation

b. Facteur de protection

c. Source des libérations

Dans cet article nous allons aborder la question de la compétition et de la bienveillance. Quels sont les rôles que ces deux notions ont joué dans la construction des oppressions et quelle est leur place dans la lutte ?

1. Définitions

Compétition : Rivalité entre des personnes ou des organisations pour obtenir une récompense ou un avantage.

(Biologie)(Agriculture) Concurrence existant entre des individus d’une même espèce ou des individus d’espèces différentes qui utilisent les mêmes ressources nutritives ou énergétiques de leur milieu.

Bienveillance : Motivation à respecter autrui et agir pour son bien.

Empathie : (en psychologie) Capacité de comprendre, de ressentir les sentiments, les affects ou de se mettre à la place d’une autre personne.

Affect : Disposition affective élémentaire. État de l’esprit tel qu’une sensation, une émotion, un sentiment, une humeur (au sens technique d’état moral : déprime, optimisme, anxiété…). Tout état de ce type a un aspect bon oumauvais (jugement) et ainsi nous influence ou nous motive.

Compassion ou Sympathie : Sentiment qui nous fait partager la souffrance d’autrui (par intuition ou connaissance de cette souffrance-là)

2. La compétition

a. Source des oppressions

Si vous suivez nos chroniques, vous avez surement déjà perçu que nous ne sommes pas des adeptes de la compétition. Selon nous, ce phénomène est un des piliers des oppressions systémiques et des injustices de manière générale. C’est parce que nous sommes en compétition que nous cherchons le pouvoir, que nous jalousons, que nous haïssons, que nous détruisons…
Et il est bien difficile de s’en détacher, car si elle fut nécessaire à la survie à une époque où l’obtention des ressources était compliquée et hasardeuse, la compétition produit aujourd’hui probablement plus de désagrément que de bénéfice pour la majorité des individus. Bien qu’elle soit contraire à l’intérêt collectif, elle est très ancrée culturellement et régit notre société.On la retrouve dans des domaines où elle n’est pourtant pas le meilleur modèle car les ressources n’y sont pas limitées. Les réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram en sont un bon exemple. Nous sommes en compétition pour la reconnaissance sociale de notre apparence, nos compétences, nos relations, nos idées… Tout est prétexte pour prouver aux autres que notre vie est merveilleuse grâce à nous, ou désastreuse à cause des autres. En effet la compétition ne se pratique pas que dans le sens de l’accomplissement. La compétition pour la reconnaissance sociale dépend d’un référentiel. Autrement dit, des valeurs qu’on attribue au groupe qui émet un jugement sur nous. Si on évolue dans un cercle viriliste où être violent est reconnu comme un trait positif, on essayera de coller aux codes en prouvant que l’on est violent soi-même. Plus violent que les autres, même. Car se conformer à cette valeur permet d’obtenir une gratification via la reconnaissance des pairs.

b. Facteur de progression

Si l’on considère le modèle dominant comme accordant des avantages à une certaines classes de la population, alors nous sommes en compétition avec elle pour récupérer ces ressources et les répartir de façon équitable en fonction des besoins de chacun·e. Nous sommes en compétition avec le modèle capitaliste, avec les idéologies xénophobes, patriarcales… Et nos luttes ont besoin de progresser. C’est bien parce que l’injustice est ressentie et dénoncée que nous trouvons l’envie, la force et les moyens de nous y opposer. Nous souhaitons détruire les structures problématiques. Ce rapport de force, bien qu’il puisse être qualifié de compétitif, est sain selon l’objectif qui viserait à minimiser les souffrances et maximiser le bonheur.

On pourrait avancer des arguments défendant le fait que justement nous cherchons à ne pas jouer le jeu de nos adversaires en tentant de rester critique et justes, mais nos actions sont jugées avec leurs valeurs. Nous sommes donc malgré nous mis en compétition avec ce système même si nous cherchons à détruire le phénomène. Nous n’avons d’ailleurs d’autres choix que de convaincre ou détruire.

La première option, convaincre, nécessite de s’adresser aux individus et aux institutions en partant de leurs valeurs / compréhensions du monde. La deuxième nécessite d’avoir des moyens compétitifs face au modèle dominant, ce qui peut difficilement être le cas.

c. Obstacle à l'émancipation

On peut également évoquer le cas des groupes où l’on accorde de l’attention aux membres en fonction des expériences de vie douloureuses (et c’est une bonne chose de prendre en compte les souffrances des autres selon nos principes) ce qui va souvent de pair avec le statut social (ne pas être un homme, ne pas être blanc·he, ne pas être valide, ne pas être hétérosexuel·le…). Malheureusement, quand ce principe de compassion devient objet de gratification, les membres du groupes peuvent se mettre en compétition selon ce critère. Il y a donc une course à l’oppression qui se met en place visant à montrer qu’on est la personne qui va le plus mal. Ceci permet de trouver une autre forme d’appartenance au groupe, d’attention, de reconnaissance sociale…
La course à l’oppression est un phénomène complexe que nous aborderons dans un autre support.Si nous n’y prêtons pas garde, nous pouvons donc nourrir des valeurs qui ne vont pas dans le sens du bien-être de ses membres. Cette compétition est entretenue par les mécanismes des réseaux que nous utilisons. Le système de “like”, les algorithmes qui vont privilégier les publications qui suscitent le plus de réactions et donc le sensationnalisme, la mise en avant des contenus visuels, les photos de profils… L’effet de projecteur est au centre du fonctionnement de ces plateformes qui vont également l’alimenter nous faisant croire que nous sommes écouté·e·es, important·e·s et au centre des préoccupations.

Cela crée une escalade à la démonstration qui pousse les individus à paraître plutôt qu’à être. On est déjà en train d’imaginer les réactions face à la photo de son repas avant même de l’avoir devant les yeux.
Si les autres nous envient, c’est que nous valons mieux que les autres. Nous trouverons le domaine qui est susceptible de nous gratifier le plus et développerons nos compétences afin d’exister socialement à travers ce prisme, dans le but de nous accepter nous-même, d’avoir une valeur à nos propre yeux.
Nous capitalisons nos affects, nos relations, nos aptitudes, afin de les monnayer contre de la reconnaissance sociale.
Cela crée et maintient les hiérarchies et exclu ceux qui ne sont pas de bon·ne·s concurrent·e·s.
En découle l’idolâtrie, le suivisme, le copinage, l’exclusion, le harcèlement…

3. La bienveillance

a. Outil d’émancipation

La bienveillance dépend de l’empathie et de la compassion. Pour respecter les autres il est nécessaire de s’intéresser à leur sort, de comprendre leurs affects et de souffrir des préjudices qu’iels subissent. Elle permet de mettre en place la coopération. Sans elle, les milieux militants sont des zones hostiles dans lesquels la méfiance règne. A côté de ça, les réseaux sociaux nous poussent à exposer notre vie privée. Faire l’inverse serait sûrement un moyen de réinjecter de la bienveillance dans nos milieux en essayant de ne plus être le centre de l’attention mais au contraire de focaliser nos effort sur la lutte tout en protégeant notre vie privée. Bien sur le problème vient du fait de se servir des informations personnelles pour détruire les gens mais (lorsque ceci est bien de l’ordre du personnel et non de la mise en danger d’autrui) mais il faut composer avec le contexte.

Dans les zones d’éducation ou de réflexions, la bienveillance est cruciale. Pour avancer ensemble, nous devons réapprendre à nous faire confiance, accepter les erreurs, éduquer avec patience et compréhension, écouter et apprendre. La bienveillance est un facteur indispensable pour mettre en place cercle vertueux. Essayer d’aider l’autre plutôt que de l’enfoncer, le voir comme un·e allié·e potentiel·le au lieu d’un·e opposant·e infiltré·e. Privilégions une variante du Rasoir d’Hanlon ou du Principe de charité en mettant sur le compte de l’ignorance ce que l’on pourrait attribuer à la méchanceté.

Une dynamique de coopération permettrait donc d’avancer plus rapidement car les ego seraient moins exacerbés, on ne se sentirait pas amoindri par le fait de ne pas savoir, donc on pourrait poser des questions sans honte, être moins en résistance face aux informations qu’on nous transmettrait, le tout favorisant donc l’esprit critique. Libérer la pensée c’est avant tout laisser la possibilité de pouvoir penser, de pouvoir se tromper, de pouvoir apprendre, de pouvoir se corriger. Attendre des autres qu’iels soient déjà conscient·e·s des principes de toutes les discriminations dans les moindres détails est trop exigent. Nous devons prendre en compte que tout le monde n’avance pas au même rythme et qu’il faut du temps, de énergie, des capacités… pour apprendre.La bienveillance fluidifie les rapports humains. Il est plus facile de communiquer avec autrui lorsque l’ambiance est respectueuse, chaleureuse et attentionnée. Dans une telle dynamique on peut mieux conseiller, éduquer, apprendre… Nous insistons ici : La bienveillance est un terreau fertile pour l’esprit critique

b. Facteur de protection

Il faut savoir dissocier les zones d’éducation populaire de celles qui nous permettent de relâcher la pression (safe zone). Bien que les deux aient besoin de bienveillance, celle-ci va trouver des spécificités d’application. Ne pas se méfier ne signifie pas que l’on ne doit pas prendre de précaution. Militer sous pseudo, ne pas divulguer ses informations personnelles, ne pas exposer les détails de sa vie qui sont de l’ordre de l’intime et pourraient nous nuire s’ils étaient révélés… sont des principes de protection accessibles quand on milite avec un groupe.

Dans une safe zone, on peut en revanche parler davantage de soi. La quantité d’information personnelles partagées est laissée à l’appréciation de chacun·e mais il est important de se rappeler qu’aucun endroit ni aucune personne n’est fiable à 100%. Confiance ne doit pas être synonyme de naïveté. Une information partagée est une information que l’on ne contrôle plus. On ne sait pas comment les relations entre les individus vont évoluer surtout lorsque celles-ci se déroulent en parallèle de conversations politiques. Il doit y avoir une tolérance sur les désaccords et sur les erreurs commises. Les sujets que nous traitons sont anxiogènes. Nous parlons constamment d’injustices, de mise à mort, de torture, de discriminations… Il est important de pouvoir compter les un·e sur les autres en cas de besoin. Si nous avons l’énergie, nous pouvons tenter d’aider les autres. Gardons à l’esprit que tout le monde à une énergie et un temps limité mais également une dimension affective et que plus on s’expose à des histoires tragiques plus on risque d’avoir des baisses de moral. Il n’y a pas de problème au fait de prendre de la distance, de se protéger ou de ne pas vouloir parler de certains sujets.

L’enjeu va être de libérer la parole des pressions liées au groupe afin que celleux qui le souhaitent puissent s’exprimer tout en comprenant ce qu’implique le fait de s’exprimer (photos et vidéos incluses) pour soi mais également pour les autres.

c. Source des libérations

C’est parce que nous cherchons à faire ce qui nous semble préférable et que nous souhaitons que chacun·e puisse être libre, disposer de soi, agir selon sa volonté… Que nous militons. Les oppressions sont dues à la compétition, leur destruction viendra par la coopération et la bienveillance. Tant que nous maintiendrons des rapports compétitifs, il semble difficile de penser qu’une libération soit possible. Nous reproduirons les mêmes erreurs car les mêmes causes mènent aux mêmes conséquences.

Malgré tout nous devons rester vigilant·e·s, nous armer d’esprit critique afin de jauger au mieux les situation et rester à l’écoute des concerné·e·s car la bienveillance peut aussi être un facteur d’oppression. Les enfants, les personnes non valides et les personnes âgées en sont particulièrement victimes mais sont loin d’être les seules. Vouloir faire au mieux part d’une intention défendable (et quasi essentielle) dans une logique de réduction des souffrances, mais n’est pas forcément un gage de non nuisance.

Il suffit de manquer de connaissances ou de se baser sur des croyances / connaissances erronées pour avoir une mauvaise compréhension du problème et donc agir dans un sens contraire au bien-être des individus. L’amour ou l’affection qu’on porte envers un être n’est pas l’assurance d’un respect de ses envies et de ses besoins.

La libération des opprimé·e·s dépendra donc de notre capacité à détruire la compétition et à ériger un modèle bienveillant qui soit cohérent et donc basé sur l’esprit critique.

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